Escalade étape 12 - Riglos (ESP)
Là où le mot "Challenge" prend tout son sens ...
Cette 12ème étape qui marque le début de la 2ème année du Word Sport Challenge introduit une activité qui rentre pour la première fois au programme olympique à la prochaine édition de Tokyo 2020 .
Pour la première fois, je suis parti accompagné. J'étais avec Romain Espart, prof de montagne au Scuaps le sport à l'Université Toulouse 3 Paul Sabatier , hyper pro en escalade et alpinisme. J'ai découvert un site mythique : los Mallos de Riglos . Des rochers oranges vertigineux de 300m de haut au milieu des champs d'oliviers et d'amandiers. C'est donc parti pour 3 jours d'escalade avec Romain et sa compagne Pauline. Mais nous ne sommes pas les seuls à arpenter les longues voies de Riglos. Ce petit village d'Aragon, Spain respire l'escalade. On croise des groupes d'Espagnols essentiellement mais aussi du monde entier venir défier ces rochers légendaires.
On grimpe en haut du Pison dès le 1er jour par l'Adamello. Une ascension d'environ 4h nous attend. Le cadre est impressionnant, envoûtant... je sais pas s'ils attendent qu'on chute, mais les vautours volent autour de nous. La grimpe en soi n'est pas si compliquée (même si des passages s'avèrent assez difficiles) mais le fait d'être perché aussi haut ainsi que la durée de l'effort rendent la tâche beaucoup plus ardue. Ca change quand même la donne quand on est suspendu au dessus du vide. C'est fou de voir Romain évoluer en tête de manière aussi aisée. Il faut savoir que les spits sont éloignés de plusieurs mètres et qu'une chute peut être fatale. En gros, faut avoir le cœur bien accroché. Lui évidemment s'épuise beaucoup moins que nous car sa lecture et ses prises d'informations sont rapides et précises. Et il évolue sur la voie comme s'il marchait.
Pour ma part, j'ai eu quelque fois les avant-bras si congestionnés que je devais m'arrêter plusieurs minutes avant de pouvoir repartir. Arrivé en haut, c'est un mélange de fierté, de soulagement et de bonheur qui m'envahit. Ca y est, on a grimpé le Pison. 300m ! Jamais dans ma vie j'aurais pu imaginer faire un truc comme ça. Apres les nombreux rappels pour redescendre, on se dit une seule chose : "à quand la prochaine ?" Pas plus tard que le lendemain ! On recommence ! Même site, autre voie ! 2ème jour, on attaque le Puro (le cigare). Un bout de roche tout fin sur le versant ouest massif. On fait bien de démarrer à l'aube car de nombreuses cordées de grimpeurs nous succèdent. Ils viennent de toute l'Europe. Cette nouvelle ascension a elle aussi son lot de sensations fortes. Comme le fait de se voir craquer littéralement et tomber dans la corde, et rester suspendu avec 200 m de vide. Des sensations que tout le monde connaît en escalade : cet engorgement musculaire au niveau des avant-bras qui tétanisent les muscles et empêchent toute exécution de mouvement. Sauf qu'avec la hauteur ça change la donne. On a quand même la vie qui tient à un fil ! Mais il n'y a rien à faire, quand on a plus de force faut attendre. J'ai donc passé 5 min suspendu dans mon baudrier et récupéré mes bras pour franchir ce surplomb !! Pour une nouvelle tentative, faut mobiliser aussi des ressources mentales et rester lucide. Je ne peux pas me permettre d'être aussi approximatif dans mes prises parce qu'étant quasiment que sur les bras, la jauge d'énergie se vide à vitesse grand V ! Cette fois ça passe ! Mais que ce fut laborieux. C'était le dernier relais avant de se retrouver sur environ 1 m2 de roche, entouré de vide et admirant le paysage grandiose qui s'offre à nous. En quelques secondes, j'oublie à quel point j'ai souffert pour en arriver là. C'est à couper le souffle. Mais nous devons enchaîner assez vite pour la descente. Les Espagnols qui nous collaient au train s'invite sur le pic. Mais la place est limitée. 4 rappels de 50m et demi heure plus tard, on se retrouve en bas. Et on peut aller savourer notre traditionnelle tortilla de patatas. Le 3ème jour, nous avons grimpé une centaine de mètres en plein Pison. Mais le timing serré et les douleurs insoutenables aux pieds, prisonniers dans les chaussons d'escalade, m'empêcheront de continuer.
Quand on vit ce genre d'activité dans de telles conditions, on ne peut qu'être admiratifs des spécialistes. Grimper en tête, passer par les voies les plus ardues... ça impose le respect. C'est pas un sport anodin, ça génère un vrai stress et pourtant il faut arriver à être le plus relâché et économe possible. Un peu comme dans beaucoup de sport comme la natation ou la course par exemple. Il faut arriver à gérer ce paradoxe et c'est loin d'être facile. Ce qui m'a le plus marqué, c'est de voir avec quelle facilité Romain évolue sur la paroi. Ca paraît si simple et si naturel. Puis quand on passe au même endroit, on tâtonne on s'épuise, on lit beaucoup moins bien les prises et un simple passage devient vite la traversée des enfers.
C'est dans tous les cas un sport qui nous pousse dans nos retranchements, et qui sollicite au plus profond nos ressources mentales et physiques. Et dans lequel aussi on traverse de grands moments de solitude. On a le temps de s'observer, de se voir agir, de s'entendre respirer, de prendre conscience du toucher. Tous les sens sont à 100%.
J'aime pas faire de classement ou de hiérarchie parce que tous les sports sont différents. Mais on me pose souvent des questions de comparaison entre les sports. Je dirai pour l'instant, ce qui m'a le plus secoué au niveau physiologique c'est incontestablement le demi-fond au Kenya. C'était extrêmement dur. Le sport qui m'a posé le plus de difficultés techniques est le surf. Et l'escalade en longues voies est le sport qui a le plus impacté mes ressources mentales et cognitives.