Les difficultés ne sont pas toutes de la même nature. Je pensais qu’en arrivant dans un pays hyper développé, qui représente tout de même la 4ème puissance mondiale, il serait aisé de trouver une structure d’accueil pour pratiquer la discipline dans le cadre de mon projet. Je ne sais pas si le froid polaire qui s’est abattu sur Berlin la semaine dernière a anéanti le capital sympathie des gens que j’ai rencontrés, mais j’ai dû essuyer quelques revers avant de trouver un club dans lequel j’ai pu pratiquer. Arrivée mardi à Berlin, 4 jours plus tard, je n’ai toujours pas pratiqué le tir sportif. Je voyais le moment où j’allais rentrer la queue entre les pattes sans avoir réussi ce 15ème challenge. Sur le papier, c’était vraiment un des derniers défis pour lequel je m’inquiétais. Et pourtant ….
Dans le premier club où je me rends, le dirigeant me dit que je ne peux pas pratiquer car je ne parle pas l’allemand. Je lui explique mon projet, le fait que j’ai fait du tennis de table en Chine ou du taekwondo en Corée sans parler un mot de leurs langues, mais rien ne change. Il est catégorique et me dit de partir. Je ressors donc de là, je marche 15km dans le froid pour rejoindre mon auberge et réfléchir à la suite du séjour. Le lendemain, je localise un autre club dans la ville. Celui-ci se trouve dans un parc mais impossible de trouver l’entrée. Je suis prêt à jeter l’éponge lorsque deux hommes avec des mallettes, me voyant fureter, m’interpellent. Je leur explique que je cherche un stand de tir. Par chance, ce sont des pratiquants et ils se rendent au club. C’est alors qu’on se retrouve devant une porte en fer sur un local en béton. On sonne à l’interphone, puis on sonne une 2ème fois pour déverrouiller la grille en fer qui se trouve en suivant. Un escalier lugubre s’enfonce sous la terre et on arrive au stand. Là, une dame me barre le passage et me demande ce que je veux. Je commence à lui expliquer mais me coupe la parole au bout de 30 sec pour me dire que ce ne sera pas possible car je ne suis pas membre. Elle aussi est très catégorique et aucune négociation ne semble possible. Cette aventure démarre plutôt difficilement. Le 3ème jour, je me rends dans un autre club, censé se trouver dans un bâtiment que je géolocalise parfaitement mais impossible de trouver l’entrée…
Il me reste donc 2 jours à Berlin pour accomplir le défi. Je décide de me rendre dans la grande banlieue. Un club de tir se trouve à l’orée d’un bois, à une quarantaine de Km du centre ville de Berlin. Je passe la porte du club et me trouve enfin dans un lieu beaucoup plus amical. Tout le monde me dit bonjour et il ne se fait pas attendre pour qu’un d’entre eux vienne me voir. Je rencontre alors Stefie, une adhérente qui me prend en main toute la séance et m’explique énormément sur l’activité. Enfin, je vis une expérience enrichissante et découvre la culture autour de cette activité. Je tire avec une carabine, de fabrication allemande. Une des raisons pour lesquelles je me suis rendu en Allemagne. Une autre raison est le nombre de licenciés dans ce sport. Mais Stefie m’explique que Berlin n’est pas la ville où c’est le plus populaire. Dans le reste du pays, beaucoup de jeunes ont des dérogations pour commencer à l’âge de 8 ans, au lieu des 12 ans requis pour pratiquer le tir. Sa fille de 15 ans est d’ailleurs présente ce soir à l’entraînement. Je suis assez surpris de voir autant de jeunes pratiquer l’activité.
Comme je l’explique dans la vidéo, ce sport demande beaucoup de ressources. Rien à voir avec le demi fond que j’ai pu vivre au Kenya qui épuise totalement l’organisme, ou avec le surf pour lequel les compétences techniques exigées sont très élevées. Là, on fait grandement appel aux qualités mentales. Être capable de rester calme, de gérer la pression du résultat, d’occulter totalement l’environnement et de ne penser à rien. La méditation doit beaucoup aider dans ce genre de sport pour parvenir à faire le vide, à affiner le contrôle de soi et à rester le plus calme possible. Stefie trouve les mots justes, me parle beaucoup de posture et d’ancrage au sol. Éviter de bouger ses appuis entre 2 tirs, apprendre à recharger tout en gardant sa position et en répétant une routine qui convient, adopter une respiration plutôt ventrale et travailler sur des moments d’apnée. Une fatigue qui se fait sentir aussi au fur et à mesure de la séance est la fatigue de l’œil. La vue se brouille lorsqu’on reste focalisé trop longtemps sur la cible.
Je suis persuadé que les qualités requises pour le tir sont indispensables à d’autres sports, qui ne sont pas du tout de la même famille. Et dans le haut-niveau, c’est bien de progresser dans plusieurs domaines au service de sa pratique. Le contrôle de soi, la concentration, la vigilance que demande le tir sportif ne peuvent qu’améliorer les compétences dans toutes les autres disciplines. Je fait l’analogie avec le golf, sport pour lequel je fatigue nerveusement à partir du 14ème trou, mais aussi avec le tennis de table qui demande un haut degré de concentration pour rester dans le match. Et ce n’est pas un hasard si de nombreux rugbymen pratiquent le golf en parallèle. Si je reviens sur l’essence de mon projet dans lequel je veux montrer que le sport est un vrai moyen de lien social et aide à découvrir des cultures ; cette fois-ci s’est avérée plus compliquée. Peut-être que ça vient de la discipline elle-même : pratiquer un sport avec une arme à feu n’est pas quelque chose de très commun. On trouve plus facilement des ballons, des balles ou des raquettes. L’aspect sécuritaire met donc des barrières. Sans être membre, il est quasiment impossible de pratiquer cette activité. C’est aussi réservé (même s’il y a des exceptions en Allemagne) à un public majoritairement adulte. Malgré tout, le club NBSG dans lequel j’ai pu pratiquer est très accueillant. Et Stefie a été admirable toute la séance. Bien différent, à tous niveaux, de mes précédents challenges, cette étape reste tout de même une aventure enrichissante.